MERCREDI 9 JANVIER
5h30 du matin. C'est le grand départ !
Christine et Yohann sont arrivés du Nord hier, nous quittons le Lot
dans la nuit noire, direction: le grand Sud !
Mes deux amis ont déjà effectué ce
voyage mais pour moi, c'est une grande première.
Nous roulons toute la journée, passons
la frontière espagnole, traversons le Pays Basque, puis le paysage
change... Des kilomètres et des kilomètres d'autoroute désertique
bordée de terres désolées ; paysages monotones, arides,
pratiquement plats, pas d'arbres ou presque. L'Espagne étranglée
par la crise a des airs de pays fantôme : de tous les côtés,
des routes et des buildings inachevés, abandonnés, en suspend. Et
c'est dans ce décor douloureux que nous entrons en Castilla La
Mancha, le pays des galgueros, le pays de la terre et du sang.
Domi nous attend chez elle. Nous nous
serrons dans les bras l'une de l'autre : c'est la première fois
que je la vois mais j'ai l'impression de la connaître déjà, nous
nous écrivons tous les jours. Domi œuvre beaucoup pour les lévriers
de la région. Elle est le lien entre les bénévoles des refuges et
nous ; une fonction primordiale. Demain une longue journée nous
attend, après un délicieux repas, nous partons nous coucher.
JEUDI 10 JANVIER
Notre tournée des refuges commence
aujourd'hui par celui de P***. Nous enfilons nos vêtements de
protection et, à peine passée la porte d'entrée, des dizaines de
chiens nous sautent dessus, il y en a déjà partout et nous ne
sommes que dans l'entrée !
Nous repérons Chispita blottie dans un
coin, elle lève son regard las vers nous, elle semble résignée. Si
seulement l'on pouvait lui faire comprendre qu'une gentille dame
l'attend quelque part et que dans quelques jours, elle part avec
nous...
A côté d'elle, une petite podenca prénommée Cher (photo ci-contre). Elle est depuis toujours à P***, elle était même déjà là avant,
du temps où le refuge était une perrera sordide. Il y a 2 ans,
cette fourrière nauséabonde a fermé ses portes : le gérant
gardait pour lui l'argent destiné aux chiens qui n'étaient nourris
que de pain. Les actes de torture faisaient partie du quotidien, les
chiens étaient euthanasiés par des injections de produits de
nettoyage, jusqu'à ce que la police intervienne et que l'équipe de
Karen décide de reprendre la gérance de cet endroit pour en faire
un vrai refuge pour les chiens sans maîtres de la ville.
Justement, Karen la présidente du
refuge accompagnée d'Eugenia et de Patricia nous accueillent. Elles
ne semblent plus savoir où donner de la tête, il y a tant à
faire ! Près de 300 chiens vivent à P***. Les bénévoles
annoncent de suite la couleur : 5 nouvelles entrées
aujourd'hui, et depuis 3 semaines, zéro adoption... Comment ne pas
se décourager ?
Nous entrons ensuite dans le bâtiment
principal du refuge. Les portes s'ouvrent, et derrière c'est la cour
des miracles ! Des dizaines et des dizaines de chiens de tous
les côtés, surtout des podencos et croisés podencos, de taille
moyenne et petite. Partout, partout, partout. Christine, Yohann et
moi commençons notre travail : photographier, répertorier,
mesurer un par un tous les lévriers et croisés lévriers que nous
trouvons, afin de les diffuser et leur offrir une chance de trouver
une famille en France ou en Belgique. Car ici, en Espagne, ils n'ont
aucune chance. Karen nous explique que les lévriers ne sont même
pas diffusés sur leur site internet car un galguero ou un gitan
pourrait reconnaître ou repérer un galgo ou un podenco et venir le
voler.
Ca et là, les bagarres éclatent entre
les chiens. Ils sont tellement nombreux... Certains, comme Eros,
croisé galgo bringé, (photo ci-contre) portent d'innombrables cicatrices qui en
disent long sur ce qu'il arrive aux plus faibles d'entre eux.
Puis, nous entrons dans la partie
réservée aux galgos édifiée par une association de sauvetage de
lévriers hollandaise. C'est un bâtiment récent construit sur
l'ancienne fosse où étaient enterrés les chiens au temps de la
perrera. Les galgos mâle sont séparés des femelles, ils disposent
de box en béton avec des niches,
l'association
a fait un travail remarquable
!
Je repère directement Hawai, la galga
au sourire éternel qui fera aussi partie du voyage ! Elle est
magnifique, je suis émue de la voir en vrai. Les galgos nous sautent
dessus, se blôtissent contre nous, nous demandent des caresses, de
l'attention. Et nous continuons notre travail d' « inventaire » :
leur nom, leur âge, leurs signes particulier, leur caractère...
Christine tombe amoureuse d'Orion, un magnifique galgo noir et âgé
que personne ne regarde. Mais elle sait qu'elle ne pourra pas rentrer
avec, et c'est dur...
Parmi les nouvelles entrées
aujourd'hui, il y a Montréal, galgo barbudo (photo ci-contre), qui fait ses premiers
pas au refuge avec nous, il semble bien s'intégrer.
Du côté des femelles, Maine nous
hypnotise par sa beauté et prend la pose longuement devant
l'objectif de Christine. Parmi elles, des Mastines, (photo ci-dessous)et l'une d'elle
notamment qui est là depuis toujours, depuis l'époque de la
perrera. Qu'a-t-elle vu elle aussi ?
Qu'a-t-elle vécu ?
Senda a 9 ans et finira sûrement ses jours ici. Elle n'aura jamais
eu la chance d'être aimée par une famille rien qu'à elle...
Karen me demande de veiller quelques
instants sur une petite chienne qui vient d'arriver au refuge et de
lui donner un nom. Je la prénomme Panda (photo ci-dessous) car elle est blanche avec
des croûtes noires autour des yeux. Nous attendons dans le sas
d'entrée. Je tente de la rassurer, elle est si petite. Panda regarde
de l'autre côté de la porte les autres chiens aboyer contre le
grillage. Dans ses yeux je lis la détresse qu'elle doit ressentir,
comme si elle me demandait : « C'est là qu'on va me
mettre ? Je n'ai pas envie d'y aller! ». Je me sens si
triste... car je sais que Panda entre ici aujourd'hui mais en
sortira-t-elle un jour ?
Nous achevons notre travail : une
journée entière n'était pas de trop pour référencer tous ces
lévriers et croisés lévriers, il y en a tant ! La fin de
journée approche, la température a baissé et nous imaginons le
froid gagner le refuge la nuit et frapper tous ces petits corps sans
défense.
En partant, difficile de laisser tous
ces loulous ici, ils nous appellent du regard, se jettent contre les
grillages sur notre passage, et les portes se referment...
Après avoir distribués des dons de
nourriture et de matériel récoltés grâce à nos collectes, nous
sommes accueillis chez Karen, la présidente et son mari qui nous a
préparé un bon repas. Leur maison est une Arche de Noé pour
chiens, il y en a dans tous les coins, sur tous les canapés, dedans,
dehors ! Le mari de Karen ne sait même plus dire lesquels sont
les leurs, lesquels sont en accueil !
Il y a Ligeria qui dort dans son
panier. La pauvre petite s'est faite attaquée une seconde fois par
les autres chiens de la maison. Elle a dû être recousue. Ne
t'inquiète pas Ligeria, tu seras bientôt en sécurité dans ta
famille !
Nous faisons la connaissance de Flor, (photo ci-contre) jeune croisée podenca de toute beauté, insouciante et affectueuse.
Le problème est que Flor adore chasser et trouve toujours un moyen
pour s'enfuir de la propriété. Karen nous explique qu'elle a
récemment perdu 3 de ses chiens : l'un a été empoisonné, les
deux autres, abattus. Et oui, par ici, les chasseurs ont le droit de
tirer sur un chien simplement parce qu'il se trouve sur une zone de
chasse ! Flor est en très grand danger, un jour elle ne
reviendra plus...
Et puis il y a Kiko, un grand galgo
blanc très spécial : nous ne le verrons que de loin, il
passera son temps à nous observer mais jamais n'osera s'approcher de
nous, ni même entrer dans la maison en notre présence.
(<- Delly a vu son frère mourir sous ses yeux et a perdu sa joie de vivre.)
Place à la détente maintenant !
Nous apprécions un délicieux repas en compagnie de nos hôtes et
des bénévoles du refuge: notre amie Eugenia et son mari Miguel,
tellement passionné de chiens qu'il en a écrit un livre, ainsi que
la jeune Patricia. Nous leur demandons comment ils envisagent
l'avenir du refuge qui est étranglé par une dette astronomique chez
le vétérinaire. Les bénévoles nous répondent qu'ils ont peur du
futur. La maltraitance continue envers les Galgos, et c'est encore
pire pour les Podencos : enfermés dans les « rehalas »,
ils sont souvent attachés par des chaînes très courtes pour éviter
qu'ils ne s'attaquent entre eux. Alors le refuge mets un point
d'honneur à visiter les enfants des écoles de la région pour les
sensibiliser à la condition canine. Ils ont même apporté un galgo
dans une école de gitans pour montrer aux enfants qu'ils doivent les
respecter.
L'école des gitans a fait un don de plusieurs sacs de
croquettes. Et les enfants d'une école avaient la possibilité de
renoncer à leur cadeau de Noêl, pour qu'en échange un chien du
refuge bénéficie d'une niche avec une plaque au nom de l'élève !
Les bénévoles de P*** savent que le changement arrivera par la
jeunesse. Ils organisent également des évènements tels que des
concerts, des braderies pour se rapprocher de la population et
récolter quelques euros. Les bénévoles de P*** ne manquent pas
d'idées mais la tâche est immense, c'est un puits sans fond et l'on
sent une pointe de désespoir dans leurs voix... La présidente et
ses bénévoles refusent l'euthanasie mais pourront-ils tenir ainsi
encore longtemps ?
VENDREDI 11 JANVIER
Le lendemain matin, accompagnés
d'Eugenia, nous rendons visite aux bénévoles du refuge de M***n qui
existe depuis 13 ans et qui abrite 175 chiens. Maria Luisa et Inès
Toutes deux vétérinaires nous accueillent chaleureusement et nous
continuons notre travail d'inventaire : tous les lévriers sont
pris en photo, mesurés etc.
Ce refuge bénéficie d'une plus grande
ancienneté et les installations sont bien meilleures : les
groupes de chiens sont moins nombreux et ils ont un espace vital plus
grand. Ce qui n'empêche malheureusement pas les attaques, comme pour
Néo, joli galgo barbudo que nous diffusons depuis longtemps déjà
et qui est le souffre douleur des autres chiens.
Maria Luisa nous emmène voir Flaca qui
est méconnaissable ! Il y a quelques semaines nous avions reçu
des photos de cette galga très maigre, la voici vraiment bien
retapée, en pleine forme !
D'ailleurs tous les chiens de ce
refuge nous paraissent bien en chair. Maria Luisa nous explique en
souriant que l'employé du refuge leur donne de trop grosses portions
de croquettes : on a beau lui dire qu'il les nourrit trop, il
n'en fait qu'à sa tête.
Dans ce refuge qui refuse l'euthanasie,
les chiens paraissent moins stressés, plus sociables. Mais le gros
souci ici, c'est la leishmaniose : le refuge se trouve à
proximité d'une rivière et beaucoup de chiens sont infectés. Nous
leur laissons, parmi les sacs de croquettes et des couvertures, des
médicaments contre la leishmaniose et des colliers Scalibor.
Dans ce refuge, Yohann tombe amoureux
d'un jeune Doberman. Le pauvre n'a aucune chance : en Espagne
les dobermans sont interdits à la vente, il passera certainement
toute sa vie au refuge...
(ci-contre: King et Queen, croisés galgos frères et soeurs, ils sont nés et grandissent au refuge...)
Nous nous rendons au centre ville pour
déjeuner avec Eugenia dans un restaurant dans lequel la télévision
diffuse sur la chaîne régionale une émission consacrée à la
chasse avec les lévriers. Nous prenons conscience à quel point ici
en Castilla la Mancha ce genre de pratique c'est « sport
national » ! Le champion d'espagne est interviewé, puis
la caméra s'arrête sur le regard des Galgos tremblottants. Comment
ne pas lire la peur et la détresse dans leur regard ? Comment
la plupart des espagnols ne voient-ils pas l'envers du décor ?
***
L'après-midi est consacré à la
visite du refuge de M***s. Nous leur apportons une grande quantité
de dons de croquettes et de matériel car quelques semaines
auparavant, ils ont lancé un grand sos : dévalisé une nuit,
le refuge n'avait plus rien, et vous avez été nombreux à être
solidaires en nous confiant des dons à leur remettre.
Puis nous allons voir tous les petits
loulous qui vivent là. Carmen et Raul, les deux bénévoles nous
aident à répertorier les lévriers un à un.
Le refuge de M*** est
plus triste que les autres. C'est un système concentrationnaire et
carcéral angoissant. Les chiens sont enfermés par groupe de 10 ou 15 environ dans des boxs. Les tensions entre les chiens sont grandes.
D'ailleurs lorsque nous demandons aux bénévoles s'il est possible
de sortir certains lévriers pour pouvoir les prendre en photo, ils
nous répondent qu'il est préférable d'éviter car cela crée des
jalousies entre les chiens, et les bagarres sont monnaie courante.
Carmen et Raul font un travail
incroyable : Carmen parcourt chaque week-end 200 km pour venir
s'occuper des loulous. Et Raul, éducateur canin, essaie de redonner
confiance aux chiens les plus traumatisés. C'est le cas de Pirata, (photo ci-contre) un galgo habité d'une très grande tristesse, résigné. Et pourtant
il a déjà fait beaucoup de progrès : il y a encore quelques
temps, il était impossible de l'approcher ou de le toucher.
Il y a aussi Gilda, une galga qui ne
sort jamais de son panier. Et aussi une petite podenca qui se cache
tout le temps, Hide. Pendant notre visite, une bagarre éclate :
la petite Lisa se fait lyncher par ses compagnons de cellule.
Beaucoup de chiens ici sont tristes. Et pour ne rien arranger, le
refuge a une capacité maximum de 90 chiens. Au delà de ce nombre,
des chiens sont euthanasiés...
Nous repartons le cœur gros en nous
demandant lesquels de ces petits êtres innocents auront la chance
d'être adoptés un jour ? Lesquels seront encore là lorsque
nous reviendront, lesquels ne seront plus de ce monde ?
Encore une fois, nous avons rencontré
des bénévoles très courageux au bord du désespoir. Après des
adieux touchants avec leurs protecteurs, Choco, Leia et Lotto partent
avec nous.
SAMEDI 12 JANVIER
Levés très tôt, nous rejoignons le
refuge de P*** où les petits loulous qui ont la chance d'être
adoptés nous attendent : California, Pipo, Domino, Hawai,
Ligeria et Chispita. Le petit croisé Homer est là aussi avec un
bénévole inquiet et triste de le voir partir pour toujours.
Nous chargeons tous les lévriers dans
les cages, avec des petits matelas et des couvertures. Les bénévoles
sont émus de les voir partir. Ils prennent soin d'eux pendant des
mois, voire des années, et puis ils s'en vont pour toujours...
Et il est temps de nous dire au revoir,
en laissant derrière nous tous les petits chiens à qui personne n'a
encore donné leur chance. On les entend hurler derrière les
grillages et notre cœur se serre...
Sur la route, nous faisons une halte
sur une aire d'autoroute afin d'aérer le camion. Garé près de
nous, un galguero nous toise du regard. A l'arrière de son véhicule
il transporte une remorque bourrée de podencos qui pleurent. Et nous
ne pouvons rien faire pour eux.
Après quelques heures de conduite,
nous nous arrêtons près de Valencia pour récupérer les derniers
adoptés : Célia, Sigfrid, Gitana et Margarita du refuge de
V***, ainsi que Betania, Aron et Gina qui devaient être euthanasiés
dans la perrera de C***. Encore de belles mais trop courtes
rencontres avec les bénévoles, et c'est reparti direction la
France, terre d'asile pour tous nos petits protégés, sous un soleil
printanier!
La suite de ce grand sauvetage dans la prochaine newsletter...